Épisode 5 : Imposteur profiteur
Alors que Dred, Heleyia et Lion arrivaient tous les trois près de ce hameau, une impression bizarre flottait dans l’air.
Les quelques maisons plantées là semblaient recluses. Personne ne traînait dehors, et une faible lueur, à peine visible à travers les carreaux de certaines fenêtres, scintillait.
Dred et Lion se regardèrent avec une certaine tension. Lion fut le premier à ouvrir la bouche et dit à Dred : « L’ambiance est lourde. » Tout en chuchotant, il ajouta : « Tu crois qu’il se passe quoi ici ? »
Dred, inquiet par ce silence et l’ambiance générale, dit d’abord à Heleyia : « Reste près de nous et fais attention à ne pas faire de bruit, s’il te plaît. » Heleyia acquiesça d’un signe de tête. Dred se retourna vers Lion en lui disant : « Je ne sais pas ce qui se passe, mais dans le doute, restons sur nos gardes. Nous ne savons pas où nous avons mis les pieds, j’avoue ne pas connaître cet endroit. »
Alors qu’ils avançaient prudemment dans la ville, Lion aperçut, malgré la pénombre, deux paires d’yeux qui les observaient depuis une fenêtre.
Lion se retourna doucement vers Dred et dit : « Regarde à ta droite, je crois que nous sommes observés. »
Dred tourna discrètement la tête. Voyant effectivement que quelqu’un ou quelque chose était en train de les observer, il décida d’aller à leur rencontre.
Il dit à voix basse : « Lion, Heleyia, suivez-moi. »
Lion attrapa doucement le bras de Dred et lui chuchota : « Tu es sûr de ton coup ? »
Dred fit un signe affirmatif montrant qu’il était sûr de lui, puis fit un léger détour pour atteindre la porte de cette vieille et grande maison.
Arrivés tous les trois à la porte, Dred frappa doucement et dit avec beaucoup de douceur et de bienveillance : « Je sais que vous êtes là, vous n’avez rien à craindre. Nous aimerions juste vous demander une faveur, mes amis et moi. »
Dred tendit l’oreille et entendit des chuchotements derrière la porte.
Il frappa à nouveau et dit : « Je suis désolé d’insister, mais mes amis et moi cherchons juste un endroit où passer la nuit. »
Un bruit de clé se fit entendre, puis la porte s’ouvrit tout doucement, s’arrêtant à peine entrouverte.
Une voix apeurée répondit : « Bon… bonjour, qui êtes-vous ? Nous voulons vivre en paix ici. Nous n’avons rien, s’il vous plaît. »
Dred, surpris par l’air apeuré de son interlocuteur, répondit d’une voix chaleureuse : « Enchanté, je m’appelle Dred, merci de nous répondre. Nous avons vu votre petit hameau alors que la nuit commençait à tomber et nous aurions juste voulu savoir si vous aviez un petit coin où dormir. Nous avons marché toute la journée et nous sommes épuisés. »
La voix d’un homme répondit avec plus de vigueur : « Sales voleurs, laissez-nous tranquilles. Ma femme vous a dit que nous n’avions rien. C’est pas la peine d’insister. »
Dred, contrarié, répondit : « Mon bon monsieur, je ne sais pas de quel méfait vous avez été victime. » Puis, d’une voix tout à coup héroïque : « Mais je ne mange pas de ce pain-là. » Dred commença à s’emballer un peu et ajouta avec un ton fier : « Dred Guer est là pour œuvrer pour le bien des démunis et des plus faibles. » Se rendant compte qu’il montait sur ses grands chevaux, il se calma et ajouta : « Je peux vous assurer que ni moi, ni mes amis ne sommes là pour vous faire le moindre mal. Alors avant tout, j’attends des excuses pour vos mots odieux à mon égard ! »
L’homme derrière la porte, agacé par Dred, sortit avec une arme et dit : « Il vaudrait mieux que vous ne soyez pas de ces brigands qui nous volent, car je ne suis peut-être qu’un pauvre fermier, mais ma chevrotine vous passera l’envie de me voler, croyez-moi. »
Dred, piqué dans son ego, écarquilla les yeux et éleva le ton : « Non, mais c’est quoi cette façon d’ouvrir la porte aux gens ? Vous ne savez pas à qui vous avez affaire ! Je suis Dred Guer et croyez-moi, j’ai fait plus de bien que de mal autour de chez vous. »
Lion et Heleyia, surpris par la réaction de Dred, lui attrapèrent chacun une main, tentant de lui dire de lâcher l’affaire et qu’ils dormiraient à la belle étoile.
Le fermier à son tour haussa le ton, et la situation commençait à s’envenimer quand tout à coup, deux hommes comme sortis de nulle part firent leur apparition.
L’un, légèrement joufflu, et l’autre, tout maigre, étaient tous deux habillés d’une tenue d’Imperae. Cela coupa court à la dispute entre Dred et le fermier.
Le maigre s’avança vers le fermier et lui dit d’une voix arrogante et désinvolte : « Alors le fermier, on fait la grosse voix ? J’espère que tu as ce que tu nous dois, car l’Empire ne rigole pas. »
Le fermier se mit à trembler comme une feuille. Dred et Heleyia, spectateurs de la scène, ne comprenaient pas ce qui se passait.
Lion, quant à lui, était perplexe. Tout en assistant à cette nouvelle altercation, quelque chose lui échappait.
Le fermier, tout en tremblant, répondit : « Oui, monsieur, mais à ce rythme, nous n’aurons plus rien pour nous. »
Autour d’eux, des yeux cachés derrière les rideaux de chaque maison restaient spectateurs de cette discussion plus que dérangeante.
Dred, ne comprenant pas vraiment, chercha à s’interposer et dit aux deux hommes : « Vous ne voyez pas que vous faites peur à cet homme ? S’il vous dit qu’il n’aura plus rien à se mettre sous la dent, cela vous laisse-t-il si indifférents ? »
Les deux hommes se retournèrent vers Dred et lui dirent : « De quoi tu te mêles, toi ? Tu ne sais pas ce qu’est l’Empire d’Imperae. Alors retourne dans le rang, sans compter que cet homme et toi aviez déjà l’air tendu avant notre arrivée. »
Dred, prêt à hausser le ton, fut arrêté par Lion qui lui dit à l’oreille : « Je ne sais pas qui sont ces hommes, mais ils ne travaillent certainement pas pour Imperae. Ces costumes sont vieux et datent d’avant mon service. Ils ont dû être volés, car ces habits auraient dû être détruits. »
Dred se retourna vers Lion et lui chuchota : « Tu es sûr ? »
Lion fit un signe de tête affirmatif.
Dred se mit à rire.
L’un des deux hommes lui demanda ce qu’il manigançait et pourquoi il rigolait comme ça.
Dred explosa de rire, et Heleyia, sans savoir pourquoi, se mit à rire aussi en voyant Dred rire aux éclats.
Le fermier dit : « Monsieur Dred, ces hommes sont d’Imperae, ils ne vous feront pas de cadeau. Et moi, je ne veux pas d’ennuis. »
Dred se retourna vers le fermier et lui dit : « Vous n’y êtes pas. J’attends toujours vos excuses. Et puis ces hommes ne font pas partie d’Imperae. Ce sont des imposteurs qui profitent de votre candeur pour vous voler. »
Le maigre répondit avec un air surpris : « Je ne vois pas de quoi tu parles, menteur. Nous sommes de l’Empire. Alors tais-toi et fuis devant Imperae. »
Dred explosa de rire à nouveau sous le regard médusé de tous les villageois.
Puis il s’arrêta d’un coup, fronça les sourcils et dit : « L’Empire a des méthodes parfois douteuses, pensant œuvrer pour le bien, mais il ne s’en prendrait pas à de simples villageois. De plus, ces costumes », dit-il en les pointant du doigt, « sont de l’ancienne garde. Je ne sais pas où vous les avez eus, mais vous ne faites pas partie d’Imperae. Si vous n’enlevez pas ces vêtements tout de suite et que vous ne partez pas maintenant, mes amis et moi allons vous passer l’envie d’embêter ces gens. »
Heleyia généra une boule de feu, et Lion mit la main sur son arme.
Les deux hommes se mirent à bégayer : « Mais… mais… vous allez nous le payer. »
Dred tapa son bâton au sol, et un bruit de tonnerre gronda.
Les deux hommes se mirent à s’excuser tout en enlevant leurs vêtements, promettant de ne plus recommencer, puis partirent en courant.
Dred, suivi d’Heleyia, dit : « Bon débarras. »
Le fermier, choqué par ce qu’il venait de voir, se mit à genoux et s’excusa auprès de Dred.
Dred posa sa main sur l’épaule du fermier et dit d’une voix compatissante : « Ne t’inquiète pas, vieil homme, je comprends. Relève-toi et excuse-moi d’avoir haussé le ton. »
Le fermier se releva et dit : « Je devrais trouver un endroit pour que toi et tes amis puissiez dormir. Vous en profiterez pour manger un morceau avec nous. »
Dred, Lion et Heleyia esquissèrent un énorme sourire et répondirent en chœur : « Avec plaisir, monsieur. »
À table, après que nos trois héros eurent pris une douche, ils commencèrent à festoyer.
Tous les habitants du hameau étaient réunis pour célébrer l’aide apportée par nos trois acolytes.
Dred demanda au fermier depuis combien de temps ce petit manège durait.
Le fermier répondit que cela faisait déjà presque deux ans qu’ils étaient sous la coupe de ces monstres. Il raconta plus ou moins à Dred comment cela avait commencé et à quel point il détestait l’Empire de laisser faire ce genre de choses.
Dred était entièrement d’accord sur certains points, mais il tenta d’expliquer au fermier qu’il était là pour rétablir l’ordre, mais qu’il n’était pas omniscient.
Le fermier répondit qu’il s’en fichait maintenant et qu’il ne laisserait plus jamais l’un de ces monstres de l’Empire franchir ce hameau de paix.
Il remercia encore Dred, et tous festoyèrent ensemble pendant ce qui parut des heures.
Chansons en tout genre et danses folkloriques, certains villageois prirent même le temps d’écrire une petite fable sur Dred et ses amis.
Il y avait l’homme bon, la fille démoniaque au grand cœur, et l’homme sombre et discret.
Après s’être bien amusés et prêts à se coucher, le fermier, le sourire aux lèvres, posa une dernière question qui s’adressait à Lion.
Le vieil homme, curieux, cherchait à comprendre comment ils avaient découvert le subterfuge.
Il dit : « Ton ami Dred en savait beaucoup, mais c’est toi qui la dit à Dred pour les vêtements, n’est-ce pas ? »
Lion, gêné, répondit : « Oui, j’ai connu les soldats d’Imperae. »
Le vieil homme poursuivit : « Comment as-tu su autant de choses sur l’Empire ? J’ai cru remarquer que tu avais tout la soirée eu tendance à cacher ton bras. »
Lion répondit, à la fois gêné et se sentant obligé de dire la vérité : « J’ai un tatouage que je préférerais ne jamais avoir eu ! J’en ai honte et préfère le cacher. »
Le fermier, avec un air dubitatif, demanda à voir ce tatouage.
Lion, gêné, dit au fermier avec gentillesse : « Je préférerais éviter. Cela pourrait créer un malentendu. »
Le fermier, un peu éméché, insista : « Allez, garçon, ne sois pas timide. Toi et tes amis, vous nous avez presque sauvé la vie aujourd’hui. »
Lion répondit : « Je préfère vraiment ne pas le montrer. »
Le fermier, bien décidé à voir le tatouage de Lion, lui prit le bras et remonta sa manche jusqu’à l’épaule. On put lire sur son visage l’effroi. Il devint rouge de colère.
Le vieil homme se mit à crier sur Lion. Rien n’était clair. Dred, se demandant ce qui se passait, alla les rejoindre.
Il dit avec le sourire aux lèvres : « Alors, vieil homme, qu’est-ce que tu as vu de si terrible ? Un mort ou pire, j’espère. »
Le fermier, fou de rage et d’une voix claire, dit à Dred : « Sortez de chez moi. Merci pour votre aide, mais maintenant, je n’ai plus de place. Alors sortez avec vos amis. »
Dred, sous le choc, ne comprit pas ce qui se passait et dit à Heleyia : « Prends tes affaires, ce soir nous allons dormir à la belle étoile. »
Dred, sans savoir pourquoi, s’excusa auprès du vieil homme. Lui et ses amis reprirent la route pour trouver un coin où dormir.
Le vieil homme, au loin, cria, à la fois attristé, soulagé et un peu en colère : « Merci pour votre aide, nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait. Mais ne revenez plus avec votre ami mystérieux. »
Il claqua la porte.
Dred, toujours un peu sonné, essayant de remonter le moral des troupes, dit : « Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? On se marrait bien, non ? En tout cas, ce soir, je ne sais pas où l’on va dormir, mais aujourd’hui, on a assuré les amis. » Il ajouta d’un air un peu désolé : « Papy grincheux finira par se rendre compte que c’était probablement une raison bête. »
Lion, gêné par cette situation qui était en partie de sa faute, dit : « Je suis désolé, Dred, Heleyia. Il m’a posé des questions et je n’ai pas pu me résoudre à mentir. »
Il souffla et ajouta : « Il a vu mon tatouage et s’est énervé. »
Dred prit Lion et Heleyia par le cou, et avec le nez un peu rouge, dit : « Ce n’est pas grave, Lion. L’honnêteté paie toujours. Et puis, on est tous les trois, c’est tout ce qui compte. »
Dred, Heleyia et Lion continuèrent leur route pour trouver un petit coin où dormir gaiement, car ils étaient tous les trois et se jetaient des fleurs, se disant que malgré tout, ils avaient rendu la vie plus paisible dans cette contrée entre Horcogne et Ancerien.