Episode 28 : Et un de plus !

L'orbe d’Od

Episode 28 : Et un de plus !

Alors que la nuit se rapprochait à grands pas, tous reprirent la route pour la montagne d’en face, afin d’y trouver l’artefact tant recherché.

Dred, juste avant de quitter l’entrée de la grotte, s’arrêta un instant, balayant du regard les visages de ses compagnons marqués par la fatigue et la poussière. Il dit d’une voix calme mais ferme : « Merci de rester toutes et tous attentifs. Il ne nous reste que quelques heures avant la nuit, et rien ne nous dit que nous ne nous retrouverons pas pris dans un déluge… ou pire encore. »

Tous acquiescèrent d’un simple signe de tête, unis par un même instinct de prudence.

Le soleil, déjà à l’ouest de son crépuscule, baignait l’horizon d’un orange brûlant. Son positionnement était presque parfait, inondant l’intérieur de la caverne d’une lumière dorée et mouvante, comme pour en révéler une dernière vérité avant le départ.

Juste avant de sortir, le groupe jeta un dernier coup d’œil en arrière. Et c’est là que le silence se fit plus dense, plus lourd.

Ce qu’ils voyaient n’avait aucun sens. La grotte, qui leur avait semblé vaste, profonde, presque sans fin, ne faisait en réalité que trois fois leur taille à peine. Il n’y avait pas de couloir, pas d’embranchement, pas de salle cachée.

Juste un espace sec, refermé sur lui-même. Un frisson parcourut l’échine de plusieurs membres du groupe. Dans ce silence étrange, chacun se demanda ce qu’il avait vraiment vécu là-dedans. Était-ce une illusion ? Une distorsion ? Ou simplement… autre chose.

Mais aucune parole ne fut échangée. Pas encore.

Dans un souffle presque synchronisé, ils reprirent la route, Dred en tête, guidé par le plan détaillé qu’il tenait fermement entre ses mains, comme s’il avait peur qu’il disparaisse.

Le chemin fut presque une partie de plaisir, comparé à l’ascension qu’ils avaient connue plus tôt. Le vent était froid mais sec, vivifiant. Le silence de la montagne les enveloppait, brisé seulement par le crissement de leurs pas sur les pierres et quelques bourrasques isolées. Le soleil les avait accompagnés jusqu’au dernier moment, caressant leurs dos et réchauffant leurs visages fatigués. Il s’était enfin couché juste à l’instant où ils arrivèrent devant ce qui semblait être leur nouveau point de chute.

Dred s’arrêta, observant l’entrée obscure d’un petit renfoncement creusé dans la roche. Il leva le bras doucement et dit :

« Avant de rentrer, Heleyia, peux-tu lancer deux ou trois de tes flammes afin d’y voir plus clair ? Si tout a l’air normal, nous installerons notre camp pour la nuit ici. »

Heleyia hocha la tête, ferma les yeux un instant, puis tendit ses mains. Trois petites sphères de feu s’élevèrent lentement dans les airs, dansant entre les ombres et dévoilant petit à petit l’intérieur du renfoncement.

Tous étaient suspendus à la moindre oscillation de lumière, cherchant du regard le moindre détail, la moindre anomalie. Une forme, une trace, un souffle.

Mais rien.

Lion brisa enfin le silence : « Je pense que c’est safe… mais si tu veux, je peux rentrer seul pour m’en assurer avant qu’on aille plus loin. »

Dred le regarda, puis répondit d’un ton assuré : « Non, ne t’inquiète pas. Ensemble, dans tous les cas, nous serons plus forts. »

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase.

Corim, visiblement lassé de toute cette prudence, s’élança vers l’entrée, levant les bras au ciel et criant à plein poumons :

« IL Y A QUELQU’UN ?! »

Dred et Lion échangèrent un regard. Un sourire complice se dessina sur leurs visages, mi-moqueur, mi-dépité.

Sans dire un mot, ils se mirent en marche, tous à la suite de Corim, forcés de le suivre… et de le rattraper.

Une fois à l’intérieur, rien.

Un silence presque trop parfait.

Les pas de chacun résonnaient contre la roche, brisant par à-coups le calme presque surnaturel de la grotte. L’air était frais, mais pas glacé, et portait une légère odeur de mousse ancienne et de cendres.

Ily, sans mot dire, déposa un fagot de bois sec au centre du renfoncement et lança à Heleyia :

« Tu peux ? »

Heleyia acquiesça, fit tournoyer deux doigts, et une flamme vive jaillit de sa paume. Le feu prit en quelques secondes, dévoilant plus clairement la structure de l’endroit.

La grotte semblait banale à première vue. Trop banale, même. Aucune trace d’inscription, aucun symbole étrange, aucune aura particulière. Juste des pierres. Mais tout le monde ici savait : les apparences, à Haedillya, n’étaient jamais qu’un masque de plus.

Dred prit la parole, calme mais direct :

« Tout est calme, je vous propose d’inspecter les lieux. Ce que l’on recherche devrait se trouver ici. »

Un silence d’assentiment suivit.

Il poursuivit :

« Aucune idée d’où il se cache dans cette grotte… et encore moins à quoi il ressemble. Mais trouvons-le rapidement afin de nous reposer. Demain, nous irons directement à OirYezr. »

Lion s’avança d’un pas et proposa :

« Je suggère qu’on se sépare en groupes de deux… et que l’un de nous y aille seul. Chacun allume une torche pour s’éclairer. »

Dred hocha la tête, approuvant.

« Bonne idée. Si vous me permettez, je vais proposer les groupes. Lion, tu pars avec Corim. Je prends Heleyia avec moi. Ily, tu y vas seule, mais reste à portée de vue d’un des deux groupes. »

Corim leva la main, protestant comme un enfant contrarié :

« Moi je veux être avec ma Ily. »

Ily roula les yeux, mais prit une profonde inspiration. Son ton était ferme, sec, sans appel :

« Je vais suivre le groupe de Lion, comme ça Bébé Corim ne va pas nous faire une cri-crise. »

Puis, se tournant vers lui, elle ajouta, plus fort encore :

« Eh ! Corim, je n’appartiens à personne. Je ne suis pas un objet. Imprime ça dans ta tête. Merci. »

Un léger silence suivit, tranchant, mais nécessaire.

Dred enchaîna aussitôt, comme pour refermer ce moment tendu :

« Parfait et merci, Ily. Allons-y. Et faites très attention à vous. Au moindre doute, on s’appelle. »

Tous acquiescèrent, et les torches s’embrasèrent une à une, projetant sur les murs des ombres longues et hésitantes. Chaque groupe s’enfonça dans une direction différente, l’écho de leurs pas créant une étrange mélodie dissonante dans la caverne.

Du côté de Dred et Heleyia, l’ambiance était douce, presque sereine. Ils avançaient à pas calmes, s’arrêtant parfois pour observer une faille, une fissure, une pierre gravée d’un rien… et discutaient. De choses simples. De leur état. De leur fatigue. De tout ce qu’ils avaient vécu jusqu’ici. Ces instants de calme leur faisaient du bien, comme une respiration précieuse dans le tumulte de leur aventure.

Mais dans le groupe de Lion, Corim et Ily, la tension montait.

Corim n’arrêtait pas. Sa voix grave, bien qu’animée de bonnes intentions, devenait de plus en plus pesante.

« Ma reine, fais attention à toi ! Ma guerrière… Tu es si forte, mais fragile parfois… Je ne voudrais pas que tu te blesses ! »

Ily, les poings serrés, avançait sans répondre. Chaque mot sonnait comme une cage. Elle qui avait toujours avancé seule, libre, indépendante, se sentait étouffée dans ce flot d’attention forcée.

Et puis… Lion craqua.

Il s’arrêta brusquement, se tourna vers Corim, et lâcha d’un ton sec :

« C’est bon Corim. T’es lourd, là. Ma princesse par-ci, ma petite femme guerrière par-là… Ily aimerait bien que tu lui lâches la grappe de temps en temps, d’accord ? On a compris, tu tiens à elle, mais là, t’es juste… lourd. À force. »

Corim, surpris, se redressa d’un coup. Ses yeux lancèrent des éclairs.

« Qu’est-ce que tu dis, Petit Lion ? Tu veux me piquer ma femme ?! Je te préviens, je te laisserai pas faire. Elle est à moi ! »

Lion, essayant de calmer la situation.

« Justement, elle en a marre que tu dises ça ! Elle est pas à toi, Corim ! Elle est elle-même. Et si tu continues comme ça, tu vas finir par te rendre juste détestable. »

Le ton montait. Corim serrait les poings. Il s’apprêtait à s’avancer quand soudain, la voix d’Ily, claire, forte, traversa toute la caverne, faisant résonner les parois dans un écho inattendu :

« Venez voir, je crois que je tiens quelque chose ! »

Un silence instantané suivit.

Puis, comme si le reste n’avait jamais existé, chacun se mit à courir vers elle.

Quelque chose venait de changer.

Corim baissa lentement son poing. La colère venait de fondre comme neige au soleil. Sans dire un mot, il se mit à courir vers Ily, les sourcils froncés, comme s’il cherchait déjà à la secourir.

Derrière lui, Dred, Heleyia et Lion arrivaient à bon pas, alertés par la voix d’Ily.

Corim fut le premier à arriver. Mais avant qu’il ne dise quoi que ce soit, Ily le fixa droit dans les yeux et dit d’un ton calme, mais sans appel :

« Tu sais Corim… Lion a raison. Tu es lourd. Et je n’ai même plus envie de te cogner. »

Elle marqua une pause, cherchant ses mots.

« Au début, c’était cool, presque drôle, mais maintenant… stop. S’il te plaît. »

Corim resta figé. Son teint vira au blanc, son regard perdu. Les mots d’Ily tournaient en boucle dans sa tête, comme un écho brutal dont il ne pouvait se défaire.

Le reste du groupe les rejoignit, légèrement essoufflé.

Dred demanda :

« Qu’est-ce que tu as trouvé ? »

Ily, un peu troublée elle aussi, répondit :

« Déjà… j’ai une sensation étrange. Une pression… comme si l’air vibrait. Pas vous ? Et là, regardez, on dirait une lueur… juste derrière ce mur, non ? »

Dred, Heleyia et Lion plissèrent les yeux.

Tous hochèrent la tête en silence. La lumière semblait pulser doucement, comme un cœur vivant, prisonnier de la pierre.

Dred s’avança et dit simplement :

« Reculez, je vais essayer un truc. »

Ils s’écartèrent. Il prit appui, arma sa jambe, et donna un coup franc dans la paroi. Un éclat s’en détacha. Et derrière, effectivement, une lueur si vive jaillit qu’il fallut quelques secondes pour que leurs yeux s’y habituent.

On n’y distinguait rien. Juste un éclat cristallin, d’un bleu profond.

Ily tourna la tête vers Corim, plus calme qu’à l’accoutumée :

« Corim, tu veux essayer toi aussi ? »

Mais celui-ci baissa les yeux, encore secoué.

« Non… »

Alors Ily s’avança, posa ses mains sur la pierre, et frappa. Fort. Une brèche s’ouvrit, assez grande pour y passer un corps. Tous s’approchèrent.

Et là, ils virent.

Au centre de l’ouverture, trônait une orbe gigantesque, d’un bleu cristallin, flottant à quelques centimètres du sol. Elle faisait près de deux mètres de diamètre. Sa lumière douce semblait émettre une vibration apaisante, presque hypnotique.

Sans prévenir, Corim s’approcha lentement.

Et au moment où sa main toucha la surface de l’orbe… celle-ci disparut.

Plus un éclat. Plus une lueur. Juste Corim, debout, figé, le regard dans le vide.

Tout en ce retournant vers le groupe, il murmura, la voix comme tremblante :

« Mais… qu’est-ce que c’est que ça ? »

Ily tendit la main à son tour, tentant prendre cette orbe devenu minuscule. Mais dès qu’elle effleura, une force invisible la figea un instant avec qu’elle recule, surprise.

Corim, quant à lui, semblait ailleurs. Ses yeux grands ouverts trahissaient une vision intérieure. Un flash. Comme s’il avait vu quelque chose de lui-même. Un reflet de ses failles. De ses excès. De ses blessures. De comment Ily le voyait.

Son cœur se serra si fort, qu’il cru le sentir ce briser.

Lion s’approcha calmement et tenta de prendre l’orbe à son tour.

Puis, il fit un pas instantanément en arrière.

Au contact, Corim revit un autre flash : cette fois-ci, un regard. Celui de Lion. De l’empathie. Du respect.

Et cette image suffit à lui redonner un semblant de stabilité.

D’un geste lent, il tendit alors sa main vers Lion, comme pour lui transmettre ce qu’il tenait.

Lion, accepta. Et dès qu’il referma ses doigts… l’orbe ce mit à luire de nouveau. Petite. Lisse. Compacte. Comme un fragment de ce qu’elle l’air d’avoir avait été, mais bien réelle.

Il la regarda, surpris, puis dit :

« Je la garde pour ce soir… et si ça vous va, on va se poser au coin du feu. »

Heleyia, les bras tombant de fatigue, souffla :

« Oh oui… je suis exténuée. Et j’ai comme le sentiment que demain ne va pas être de tout repos. »

Cette remarque, si précise, étonna tout le monde. Même Heleyia elle-même.

Mais personne n’ajouta rien.

Ils quittèrent cette partie de la grotte, la lumière des torche à peine suffisante pour effacer le rayonnement bleu.

Arrivés près de leur petit campement, ils mirent de nouveau du bois dans le feu, mangèrent avec appétit, et burent à petites gorgées. L’ambiance était apaisée. Plus silencieuse qu’à l’habitude, mais pas froide. Juste… posée.

Corim, proposa d’être de garde pendant la nuit.

Après le repas, Dred dit :

« Je prendrai la suite de la garde, si tu veux, Corim. »

Mais Corim répondit, d’un ton calme, presque doux :

« fff, Okay. »

Il resta là, les yeux dans les flammes, pendant que les autres s’endormaient.

Le lendemain matin, la lumière du jour les réveilla un à un.

Mais Corim… n’avait pas bougé.

Il était encore là, figé, le regard rivé vers l’horizon. Si calme que tous crurent un instant qu’il avait cessé de respirer.

Ily s’approcha, posa une main amicale sur son épaule, et dit en souriant doucement :

« Alors ? Ça va ? Tu as veillé toute la nuit ? »

Corim se contenta d’un hochement de tête. Pas un mot de plus.

Tous trouvèrent cela étrange. Mais personne ne le força à parler.

Après avoir tout rangé, ils reprirent la route vers OirYezr, espérant arriver avant le déjeuner… et espérant, au fond, que cette étrange orbe allait résoudre le problème.

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