Episode 29 : Qui est-ce ?

Episode 29 : Qui est-ce ?

La descente les menant vers OirYerz, celle-ci avait été une balade presque trop agréable pour être vraie. Le sentier serpentait entre des collines couvertes de mousse et des bouquets de fleurs sauvages qui dansaient sous le vent. Le soleil n’était ni trop fort ni trop timide, et l’air salin qui annonçait la mer donnait à chaque respiration un goût de liberté.

Le terrain, étonnamment peu accidenté, avait permis au groupe de relâcher un peu la pression. Corim sifflotait, Heleyia observait chaque oiseau comme s’il allait lui parler, et même Lion — pourtant souvent dans sa tête — semblait profiter de ce calme passager.

En atteignant les premières pierres taillées d’OirYerz, Dred ralentit le pas. Il leva les yeux, scrutant les bâtiments aux toits en écailles d’ardoise, les murs couleur sable, et les petites places où les habitants semblaient vivre sans se presser. Il sentit un apaisement étrange, comme si la ville elle-même lui murmurait : “Ici, tu peux souffler un peu.”

Il prit un petit moment pour contempler tout cela. Il aimait ce genre d’endroit : vivant sans être bruyant, ouvert sans être trop exposé. Pendant que le reste du groupe patientait, il se mit à marcher lentement, observant l’architecture, analysant les axes, essayant de deviner où il trouverait un bon coin pour manger.

Les ruelles sentaient le poisson grillé, les épices, et un peu la mer. L’estomac de Dred se manifesta rapidement. Il jeta un regard vers ses compagnons. Lion leva un sourcil, et Corim haussa les épaules. Eux aussi avaient faim.

Ils déambulèrent encore un peu, Dred jetant des coups d’œil à droite et à gauche, repérant les enseignes, les attroupements, les terrasses pleines ou vides. Rien ne sautait aux yeux tout de suite. Alors, après quelques très longues minutes à marcher pour rien, il décida de faire ce que beaucoup redoutaient dans une ville inconnue : demander.

Il interpella un passant, un homme assez âgé, au visage tanné par le soleil et les embruns. Celui-ci s’arrêta avec un sourire bienveillant, comme s’il appréciait qu’on lui parle.

— Vous cherchez à manger, hein ? Vous êtes tombés sur la bonne personne, les jeunes. Alors… y’a deux coins vraiment sympas. Si vous voulez quelque chose de simple mais savoureux, y’a une taverne pas loin, en remontant cette rue. Bonne ambiance, bonne bière, des gens qui parlent fort mais qui partagent tout. Et sinon … vous aimez le poisson ?

Dred hocha la tête, et même Lion ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

— Dans ce cas, faut pas rater La Queue d’Écaille, au bord de la plage. Ils pêchent le matin même. Un peu plus cher, mais ça les vaut largement.

Une discussion s’engagea. Dred posa quelques questions sur la ville, la fréquentation, les rumeurs locales. L’homme répondit sans trop se méfier, heureux de partager ce qu’il savait. Quand la conversation toucha à sa fin, Dred remercia avec sincérité, puis se tourna vers les autres.

— On garde le petit bar de plage pour ce soir. On se fera une belle assiette de poisson, tranquille, avec vue sur la mer. Mais là, tout de suite… on va à la taverne. C’est souvent là qu’on trouve des infos utiles.

Le groupe acquiesça, l’œil aux aguets, mais sans broncher. L’idée de s’asseoir et de manger un bon plat chaud les motivait plus que n’importe quel discours. Et dans une ville comme celle-là, les tavernes avaient souvent plus de secrets que les ruelles.

Suivant les indications précises du vieil homme croisé plus tôt, le groupe finit par tomber sur la fameuse taverne, nichée à l’angle d’une rue légèrement en pente, avec vue directe sur les embruns. Rien qu’à l’extérieur, l’endroit respirait la chaleur et l’authenticité.

À l’entrée, un vieux panneau en bois suspendu par deux chaînes rouillées oscillait doucement au rythme du vent marin. On pouvait y lire, gravé à la main :

« La vie ne se mesure pas au nombre de respirations que l’on prend, mais aux moments qui nous coupent le souffle ! »

Une phrase simple, mais qui, dans ce contexte, semblait lourde de sens.

Après cette mise en bouche poétique, ils se lancèrent sans hésiter à l’intérieur. L’ambiance les enveloppa aussitôt.

Une douce lumière dorée baignait la pièce, oscillant entre les reflets des verres, le bois poli par le temps et les lanternes suspendues au plafond. Le décor, dans un thème bord de plage assumé, regorgeait de détails : coquillages accrochés aux poutres, filets de pêche en guise de tentures, et même une grande barre de navire servant de comptoir. Des rires éclataient ici et là, quelques marins chantaient à une table du fond, et l’air sentait bon le poisson grillé.

Derrière le bar, une fresque immense peinte à même le mur représentait une mer calme, figée dans un instant éternel. On aurait presque dit qu’elle bougeait sous l’effet des vagues… ou de l’imagination.

Dred, les yeux encore perdus dans cette fresque, sentit une présence familière. Et sans surprise, cette fois, c’était bien Céleste.

Elle semblait différente, plus posée que d’habitude. Peut-être était-ce l’ambiance, ou simplement l’usure des jours passés. Dred l’interpella aussitôt, un sourire sincère au coin des lèvres.

— Hé, Céleste ! Tu vas bien ? Ça fait un bail, non ?

Elle tourna la tête, le reconnut immédiatement, et un large sourire se dessina sur son visage.

— Tiens donc ! Ça alors… Je ne m’attendais pas à vous voir ici. Et vous tous, vous avez une bonne tête de gens qui méritent une pause. Écoutez, pour une fois, je vais m’accorder un petit break. Allez vous installer, passez commande au bar, et je vous rejoins dès que vous êtes servis.

Dred acquiesça, presque trop content, et fila vers le comptoir pendant que les autres choisissaient une grande table ronde près de la fenêtre. Le serveur, visiblement habitué à gérer du monde, prit leur commande rapidement.

Peu après, la table fut remplie de plats généreux : poisson grillé, riz safrané, légumes croquants, boissons fraîches et une grande carafe de vin local et d’eau minérale de source (probablement de l’eau de montagne). Juste le parfum suffisait à leur mettre l’eau à la bouche.

Et comme promis, Céleste arriva peu après, s’installant avec eux sans cérémonie.

— Alors ? Depuis tout ce temps, quoi de neuf ? J’ai l’impression que ça fait des semaines qu’on ne s’est pas croisés. Vous êtes encore à la poursuite de cet artefact insaisissable ?

Tous esquissèrent un sourire en coin, un mélange d’amusement et de fatigue. C’est Lion qui répondit en premier. Il ouvrit doucement sa besace, en sortit un objet soigneusement enveloppé, puis le montrant discrètement avant de le ranger.

— Voici notre dernière trouvaille. On ne sait pas encore exactement ce qu’elle peut faire… mais regarde-moi ça. Tu ne trouves pas ça magnifique ?

Les yeux de Céleste s’écarquillèrent. L’artefact brillait d’une lumière discrète, presque timide, mais envoûtante. Elle le fixa longuement, presque comme si elle sentait sa puissance.

— C’est incroyable… Mais… faites attention à vous, d’accord ? Avec toutes ces histoires d’artefacts… Une partie de moi a toujours eu peur que vous vous perdiez en route.

Dred éclata de rire.

— Disons que… ça dépend des jours. Parfois, on a des moments de grâce. Et parfois, on tombe sur des trucs bizarres… comme ce type dans les montagnes.

— Quel type ? demanda Céleste, le regard soudain plus sérieux.

— Un gars qui se faisait appeler « le maître ». Il nous a raconté des trucs étranges, presque absurdes… mais il savait des choses.

Voyant que les regards devenaient lourds et un peu sombres, Céleste se pencha, intriguée.

— Qu’est-ce que vous avez vu ? Qu’est-ce qui s’est passé exactement ?

C’est Heleyia qui prit la parole. Sa voix tremblait un peu, mais elle tenait à témoigner.

— Comme l’a dit Dred, cet homme… Il avait quelque chose de pas normal. Il était accompagné d’une créature étrange, dérangeante. On ne savait pas si elle allait nous attaquer. Et… Dred s’est évanoui après avoir été touché par l’énergie du maître, je croix. Mais ce dernier l’a réveillé… puis il a hurlé. C’était presque inhumain. Ensuite, il nous a dit où trouver l’artefact. On l’a trouvé… mais la zone semblait vidée de tout. Comme si elle n’avait jamais vraiment existé.

Céleste resta figée, absorbant chaque mot. Elle regarda Dred, droit dans les yeux.

— Je comprends mieux ce que je vois dans ton regard, maintenant… Mais vous êtes là. En un seul morceau. C’est déjà ça. Prenez un bon repas, marchez un peu sur la plage, respirez. Vous en avez besoin.

Mais malgré son ton rassurant, son regard trahissait autre chose. Une lueur… comme si elle savait plus qu’elle ne voulait le dire.

Dred s’en rendit compte, mais choisit de ne pas insister.

— Et toi alors ? Qu’est-ce que tu deviens ?

— Oh, toujours pareille. À courir après le temps, les infos, les imprévus. Tu me connais…

Son rire sonnait vrai, léger, et ramenait un peu de soleil à la table.

La conversation s’allégea peu à peu. Ils parlèrent de la météo, de souvenirs idiots, de plats préférés. Juste… pour vivre l’instant.

L’après-midi passa dans une sorte de bulle suspendue. Sur le bord de la plage, les pieds dans l’eau, les corps détendus, les verres de cocktail à moitié pleins, ils s’accordèrent une parenthèse rare. Pas de poursuite, pas de combat, pas de piège.

Juste… un moment qui leur coupait le souffle.

La fin de journée approchait, peinte de teintes orangées et dorées qui dansaient sur les flots. Après cette après-midi paisible entre discussions légères, baignade et soleil, le groupe décida de prolonger ce moment de calme. Direction le bar de plage recommandé plus tôt : La Queue d’Écaille.

Assis en terrasse, les pieds presque dans le sable, ils dégustèrent un assortiment de poissons fraîchement grillés, accompagnés de quelques légumes croquants et d’un vin blanc fruité qui fondait sous la langue. L’air salin, le son des vagues, les rires lointains… tout semblait parfait.

Ils discutaient tranquillement, posément, évoquant la suite des événements, les routes possibles, les zones à éviter… quand une silhouette s’approcha d’eux.

— Excusez-moi, dit une voix posée, mais… je vous ai entendus parler de cet artefact. Je ne veux pas vous déranger, mais j’ai peut-être une information qui pourrait vous intéresser.

Tous levèrent la tête. L’homme était seul, vêtu d’une cape usée par les voyages. Son regard était franc, mais ses traits trahissaient une certaine usure. Il avait l’allure de ceux qui ont vu plus que ce qu’ils ne disent.

— Continuez, répondit Dred, légèrement sur le qui-vive mais curieux.

— Ce que vous cherchez… j’en ai entendu parler, il y a peu. Un ancien m’a glissé quelques mots à ce sujet lors d’un de mes voyages. Il parlait d’un objet étrange, qu’on disait perdu quelque part dans la zone de Kolletair Chall. Une région forestière, qu’on appelle souvent la “zone perdue”. Ça vous dit quelque chose ?

Dred s’inclina légèrement vers lui.

— Vous pouvez m’en dire un peu plus ?

Mais à peine avait-il posé la question que Lion se pencha discrètement vers lui pour murmurer :

— Fais attention. Cette zone se rapproche dangereusement d’Impérea. Chaque info, même anodine, pourrait être un piège.

L’homme, sans se troubler, poursuivit :

— Je ne peux pas vous garantir que c’est bien ce que vous cherchez. Mais on dit qu’au cœur de la forêt, dissimulé parmi les arbres, quelque chose d’unique repose là-bas. Beaucoup en parlent… mais personne ne l’a jamais trouvé. Certains prétendent même que la forêt bouge, qu’elle protège ce qui y dort.

Dred, concentré, demanda s’il avait une carte ou un repère quelconque pour s’orienter.

L’homme hocha la tête, sortit un vieux morceau de parchemin de sa sacoche, et le déroula sur la table. Il y traça un cercle approximatif, indiquant une zone dense, bordée par des falaises au nord et des marais à l’est.

— Ici. C’est là que les rumeurs convergent.

Dred griffonna quelques notes rapides sur une feuille, pendant que Lion, le regard toujours fixé sur l’homme, ne disait plus un mot.

— Merci, dit simplement Dred.

L’homme replia sa carte, la rangea, et avant de tourner les talons, ajouta :

— Bonne chance à vous. Et méfiez-vous. Cette forêt n’est pas ordinaire.

Il repartit ensuite comme il était venu, se mêlant à la foule de la plage.

À peine fut-il hors de vue que Lion souffla entre ses dents :

— Et si c’était un piège ? Je ne sais pas… mais sa voix me dit quelque chose. Quelque chose que je n’aime pas.

Dred, calmement, observa la feuille qu’il venait de remplir.

— Peut-être. Peut-être pas. Mais tu sais comment on fait : on esquive, ou on combat. Il y a quelque chose en lui… qui m’inspire confiance.

Il se tourna ensuite vers Ily, qui terminait tranquillement sa coupe de fruits frais.

— Et toi, t’en penses quoi ?

Elle sourit, amusée, secouant légèrement la tête.

— Dred… tu fais toujours trop confiance aux gens. Mais quoi qu’il en soit, je te suis. C’est ma seule certitude.

Cette phrase, simple mais sincère, fit doucement écho dans le cœur du groupe.

La soirée se termina sous des éclats de rire. Ils partagèrent quelques anecdotes de voyage, profitèrent une dernière fois de la brise marine, puis chacun rejoignit son bungalow.

Dans son propre bungalow, Dred s’apprêtait à s’allonger lorsqu’il remarqua quelque chose sur son lit.

Une boîte.

Un petit coffret en bois sombre, finement gravé, posé bien sur un des coin du matelas. Un mot, calligraphié avec soin, y était posé :

« Tu pourrais en avoir besoin. Je suis avec toi. »

Intrigué, il s’en approcha lentement. Il prit le mot, le relut, fronça les sourcils, puis observa la boîte. Elle semblait… ancienne, mais parfaitement conservée.

Il l’ouvrit avec précaution.

Une lumière douce s’en échappa aussitôt, teintée de bleu et de blanc nacré. À l’intérieur, une perle magnifique reposait sur un tissu de soie usée. Elle semblait vivante, comme si elle respirait doucement.

Dred tendit la main, fasciné. Au premier contact, une sensation étrange le parcourut. Comme une caresse au bout des doigts, légère, presque espiègle.

Il recula d’un coup, surpris.

Mais la curiosité fut plus forte.

Il reprit la perle à pleine main.

Une énergie douce mais profonde remonta le long de son bras, s’insinua dans sa poitrine, puis dans son esprit. Il eut un vertige. Le décor vacilla.

Il ouvrit la main pour mieux observer la perle… mais tout devint flou. Ses jambes fléchirent.

Et sans un mot, sans un cri, il s’écroula au sol, inerte, la perle encore serrée entre ses doigts.

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